L’abbaye de Cuxa comprend au XIIème siècle deux ensembles sculptés majeurs : le cloître et la tribune-jubé. A la fin du XVIème siècle la tribune-jubé est démolie dans le cadre d’un réaménagement de l’église, mais les moines en conservent les éléments, qu’ils réutilisent dans plusieurs ensembles décoratifs: en particulier, la porte extérieure du monastère, et la porte du logis de l’abbé. A la Révolution française, l’abbaye est supprimée et ses bâtiments vendus. Ils se ruinent peu à peu, et les éléments sculptés du cloître et de la tribune, en marbre rose, sont récupérés ou dispersés dans la région. Aujourd’hui encore, la localisation de beaucoup d’entre eux est inconnue.
Au début du XXème siècle, un sculpteur américain, George Grey Barnard, achète plus de trente chapiteaux du cloître et tous les fragments qu’il peut trouver à Prades ou à Cuxa même. Grâce à cet achat, il constitue le musée des Cloisters (cloîtres) à New York, où l’on peut voir aujourd’hui un cloître de Cuxa reconstitué, en plus petit.
De 1950 à 1955, la récupération de 35 autres chapiteaux, sur place et dans les environs permet de reconstituer le cloître incomplet que l’on peut voir à Cuxa. A cette époque, on n’a pas su distinguer les chapiteaux provenant du cloître ou de la tribune-jubé, et ils ont été malheureusement mélangés.
En 1975, le musée des Cloisters de New York (une branche du Metropolitan Museum of Art) a remis au Gouvernement français, pour Cuxa, un ensemble de fragments qu’il gardait en réserve. Ces fragments, avec ceux qui ont été retrouvés ou récupérés dans l’abbaye, constituent les collections lapidaires que vous pouvez voir ici.
Ces collections sont principalement composées de fragments de la tribune-jubé, et d’autres éléments provenant de parties de l’abbaye qui ont disparu.
La tribune-jubé de Cuxa est très proche, bien que plus grande, de celle du prieuré de Serrabona, dont elle constitue sûrement le modèle. Celle de Serrabona se conserve intacte, et en l’étudiant on peut reconnaître les éléments analogues qui composaient de celle de Cuxa.
Cette construction était située au milieu de la nef, pour séparer le choeur des moines, où ceux-ci s’assemblaient pour l’office, de la nef où le public pouvait avoir accès. La plate-forme supérieure était peut-être utilisée pour le chant ou la prédication. Elle avait une façade ornée composée de trois grandes arcades, reposant sur des colonnes et des chapiteaux. Ces arcades étaient surmontées d’une corniche et d’une balustrade. La tribune elle-même reposait sur des voûtes, portées par des colonnes et des chapiteaux, et soulignées par des cordons de marbre. Des recherches récentes (A. Thirion, université de Montpellier) ont permis de réaliser un modèle numérique en trois dimensions de la tribune disparue.
Le décor comporte un vocabulaire très riche, végétal, animal et théologique. Il y a de nombreuses créatures fantastiques, lions, griffons, lions ailés, etc, sur les arcades et sur les chapiteaux. On trouve aussi des roses anciennes à quatre pétales, des rinceaux de palmettes. Des plaques sculptées étaient placées dans les écoinçons, entre les arcs. Elles figurent les symboles des quatre évangélistes : l’homme pour Matthieu, le taureau pour Luc, l’aigle pour Jean, le lion pour Marc. Le taureau et le lion sont à la porte de l’église (dans le cloître), car cette porte est l’ancienne porte du logis de l’abbé réalisée au XVIème siècle avec les débris de la tribune, réinstallée là en 1955. L’aigle est perdu. Ces plaques entouraient l’Agneau, symbole du Christ, aujourd’hui à New York. Parmi elles avait aussi pris place un portrait, celui de l’abbé de Cuxa Grégoire, sans doute le commanditaire de toute cette oeuvre. Cette plaque est postérieure à 1137, et permet de dater la tribune-jubé (et peut-être le cloître lui-même) du milieu du XIIème siècle.
Dans ce présentoir sont présentés, en connexion, quelques fragments de la façade la tribune-jubé de Cuxa. Il s’agit de l’écoinçon entre la première arcade à gauche et l’arcade du centre. Pour permettre leur présentation conjointe sans soclage contraignant, les blocs sont ici calés sur un lit de gravier. Ils ne subissent aucune contrainte et cette présentation est totalement réversible. L’assemblage des fragments ici réalisé s’appuie sur les travaux récents d’Anna Thirion. Tous ne correspondent pas, cependant, à leur emplacement exact. Cet assemblage permet seulement d’avoir une idée de la forme de la tribune.
Au centre un chapiteau de la tribune représente un « lion tordu », l’arrière-train relevé. C’est une scène énigmatique dont la signification nous échappe. A gauche, quelques éléments de la première arcade. Les blocs d’origine, suivant la courbe de l’arc, ont été ensuite retaillés pour être utilisés dans une autre construction. A droite, deux fragments isolés de l’arcade centrale : elle était décorée d’un rinceau peuplé d’animaux fantastiques. Les deux plaques figurent l’évangéliste Matthieu, et l’abbé Grégoire de Cuxa. Celui-ci est désigné par une inscription « archiepiscopus abbas » (archevêque et abbé) : il a en effet été nommé archevêque de Tarragone, et a reçu le pallium en 1143.
Les autres plaques et les corniches présentent le répertoire habituel de végétaux (rinceaux, palmettes, roses).
Collections lapidaires entreposées à la Salle Capitulaire de l’Abbaye Saint Michel de Cuxa.